lundi 25 mars 2019

La Stratégie des as, de Damien Snyers


Damien Snyers est un jeune auteur belge, qui a publié, avec La Stratégie des as, son premier roman chez ActuSF, chouette maison d'édition que je remercie de nouveau pour l'envoi de ce SP. Ce petit roman, mêlant steampunck, fantasy et uchronie, a reçu le Prix Pierrotin en 2017.

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Dans un XIXe fantasmé, à Nowy-Kraków, un trio d’arnaqueurs formé d'un elfe, d'un troll et d'une demi-humaine se voient engagés par un étrange vieil homme pour une mission  de haute voltige : voler le Rein d'Isis, une fameuse pierre aux propriétés magiques, détenue par un couple de bourgeois. Pour James, Jorg et Elise, il semble que cela soit la proposition du siècle, celle qui leur permettra enfin de quitter leurs habits de hors-la-loi et de vivre doucement. Lors de cette mission, ils croiseront la route de Mila, une voleuse hors pair, et ne parviendront pas indemnes à sa réalisation.

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Ce petit roman est une très agréable surprise ! Rédigé à la première personne, on suit les aventures de la troupe à travers les yeux de James, un elfe qui n'a pas la langue dans sa poche. Les personnages sont bien plantés, et chacun à leur manière reflète un problème sociétal : James, dont la gouaille lui permet de survivre, qui a longtemps été sous l'emprise d'un maître abuseur ; Jorg, le troll victime de racisme et de préjugés l'empêchant de vivre sereinement ; Élise, moitié humaine, moitié elfe, qui subit également des brimades de la part de la société de par son sang mêlé ; et Mila, la petite voleuse humaine qui se grime pour ne pas se faire agresser par les hommes. L'attachement que les personnages se portent rend le trio très enthousiasmant à suivre. Mention spéciale à Jorg, troll adorable qu'on aimerait connaître davantage. À la fin, James et Mila quittent tous les deux Nowy-Kraków, qui sont incontestablement les deux stars de ce roman. Y'aura-t-il une suite ? Je l'espère !

Tous ces personnages évoluent dans un univers fantasy et d'uchronie : ainsi Nowy-Kraków est une ville évoluée qui propose des calèches à vapeur pour se déplacer (une belle touche steampunck), on apprend que l'Afrique est le continent le plus avancé en matière de technologie, mais le décor est tout de même très suggéré, on en apprend peu sur la géographie de l'univers.
Le récit s'enchaîne sans répit, et alors qu'il semble cousu de fil blanc, on est agréablement surpris par la fin. Personnellement, je n'avais pas vraiment deviné l'aspect magique de la pierre... Malgré quelques maladresses de style, j'ai trouvé que la lecture était très fluide, avec une dose d'humour - grâce à James le narrateur - qui la rend très vivante ! Les questions de société soulevées (le racisme, la pauvreté, l'oligarchie, la police répressive, etc.) rendent ce roman très actuel, et on ne peut s'empêcher de faire des parallèles avec le monde réel. J'ai beaucoup apprécie l'ajout de l'interview de l'auteur, qui permet d'en apprendre plus sur ses influences et comment il a créé son univers, ainsi que la nouvelle sur Mila, le personnage le plus mystérieux du récit.

En fin de comptes, je n'ai pas vraiment de remarques négatives à faire, si ce n'est que j'aurais aimé que le background soit davantage développé, de même que l'intrigue. Mais pour un premier roman, c'est très honorable !


Ce roman a été lu dans le cadre du 7e challenge de littérature de l'imaginaire.



La Stratégie des as, Damien Snyers, éd. ActuSF, coll. "Les Trois Souhaits", 2016.

vendredi 15 mars 2019

La Confrérie du Serpent, tome 1 : L'Invasion, d'Annie Lavigne


Annie Lavigne est une jeune romancière autoéditée qui a plusieurs séries à son actif : Avana, Marie de la mer, ou encore La Confrérie du Serpent, dont elle m'a envoyé le premier tome : L'Invasion. Ce récit est un mélange de science-fiction et de thriller ésotérique, et en lisant la quatrième de couverture, il avait tout pour me plaire.

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Dans un monde régi par la peur des attentats qui permet un contrôle total des population, et une société de consommation abrutissante, plus personne n'a conscience de sa servitude à un ordre mondial établi depuis des millénaires : la Confrérie du Serpent. Cette confrérie, dirigée autrefois par des dieux reptiliens, est maintenue en vie par les Serkys, des créatures mi humaines mi reptiles, dont les pouvoirs leurs permettent d'asservir l'humanité : cataclysmes, capitalisme, téléréalités, attentats, guerres, ils se nourrissent des peurs humaines et rêvent d'assoir leur suprématie au grand jour, pour de bon. Seulement, les Gardiens, des hommes ayant réussi à déverrouiller les dons cachés au sein de leur ADN latent, leur mettent des bâtons dans les roues depuis tout ce temps et souhaitent, eux, révéler la lumière aux hommes, et repousser les Serkys jusqu'aux confins de l'univers. C'est au sein de cette bataille millénaire et occultée que Viviane Robert, jeune archéologue, va se retrouver catapultée, après avoir reçu un appel inquiétant de son père, Laurent Robert. Ce dernier lui révèle les mystères d'une tablette d'argile datant de Sumer : l'histoire des Serkys et des Gardiens, à laquelle Viviane ne peut croire, jusqu'à l'enlèvement sous ses yeux de celui-ci. Débute alors une course contre la montre pour sauver l'humanité : en effet, une étrange planète, Nibiru, s'approche dangereusement de la Terre, et est à l'origine d'intenses catastrophes. Cependant, elle serait d'une importance capitale pour la sauvegarde humaine. De pays en pays, poursuivis par les Serkys, Viviane et son équipe de Gardiens devront résoudre des énigmes vieilles de plusieurs centaines d'années afin de sauver, peut-être, leur race des griffes reptiliennes...

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Un synopsis très alléchant, et au fort potentiel ! Aimant bien tout ce qui est mystères ésotériques et historiques, j'ai lu ce roman facilement. L'écriture est fluide, les actions s'enchaînent sans répit, pas le temps de s'ennuyer et de tergiverser. De plus, on sent que l'autrice a fait un bon travail de recherche : les données historiques et géographiques sont précises et intéressantes, et on voyage agréablement en compagnie de Viviane et de ses comparses à travers le monde. Mention spéciale aux chapitres se passant à Rome, on a vraiment envie d'en savoir plus sur les archives du Vatican ! L'univers est plutôt bien planté et le mélange des différents mystères ésotériques intéressant : les crânes de cristal, Babylone, Lilith, Sumer, Quetzalcóatl, etc. L'autrice a réussi à rendre tout cela digeste bien que peu crédible.

En effet, c'est là où le bât blesse... La mise en place très (trop) rapide de l'intrigue ne permet pas de s'attacher aux personnages, ni de rendre le récit très plausible. L'héroïne est beaucoup trop naïve et "girouette"pour qu'on l'apprécie vraiment : par exemple, son père vient de mourir, le soir même elle se trouve un amant, puis part sauver l'humanité avec une troupe de Gardiens dont on ne sait pas grand-chose, si ce n'est qu'ils peuvent courir très vite et doivent avoir beaucoup d'argent pour se déplacer à travers le monde aussi facilement. L'explication des pouvoirs des Gardiens, ces humains évolués, est également trop peu vraisemblable : l'ADN inutilisé qui se "débloquerait" comme ça, en une myriade de pouvoirs magiques m'a paru grotesque. À la rigueur, l'exploration de l'inconscient collectif, l'accès à des connaissances enfouies, pourquoi pas une grande endurance physique, cela m'aurait semblé beaucoup plus adéquat et suffisant, étant donné l'utilisation de ces pouvoirs tout au long du récit. Le récit souffre donc de raccourcis commodes et d'un gros manque de plausibilité.
Au niveau du discours, il y a des maladresses de style, mais ce qui m'a le plus frappée, ce sont les dialogues, que j'ai trouvé trop rigides et mal travaillés : les personnages débitent des connaissances encyclopédiques qui auraient davantage leur place dans la narration. Les mystères ne sont pas résolus de façon fluide, et le sont beaucoup trop facilement... Sans parler de la manifestation des pouvoirs de Viviane, qui semble pouvoir les maîtriser en cinq minutes chrono.
Je ne vais pas m'étendre davantage sur les points négatifs, mais il aurait fallu, selon moi, retravailler les personnages et leurs interactions, la résolution des problèmes et les dialogues, les rendre plus "vrais". Mais peut-être que les prochains tomes sont meilleurs...

Je pense que ce roman peut plaire à celles et ceux qui souhaitent se plonger dans un roman d'aventures sans se poser de questions, mais selon moi il souffre trop d'imperfections, aussi bien sur le fond que sur la forme.


Ce roman a été lu dans le cadre du 7e challenge de littérature de l'imaginaire.



La Confrérie du Serpent, tome 1 : L'Invasion, Annie Lavigne, autoédition.

mardi 5 mars 2019

La Forêt des araignées tristes, de Colin Heine


La Forêt des araignées tristes de Colin Heine est la deuxième lecture de mon partenariat avec ActuSF. Je ne lis presque jamais de steampunck, et ce roman a été l'occasion de me replonger dans ce genre inspiré de Jules Verne.

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Gale, XIXe siècle. Bastien est paléontologue. Passant son temps dans son atelier entouré d'os et de livres, il se promène un jour à l'Omniexposition, et découvre une invention qui l'intrigue : un dirigeable piloté à distance. L'inventeur propose au public de monter à bord afin de tester l'engin. Bastien s'y décide, mais ne pourra pas vraiment profiter du vol : la navette se fait percuter par une gargouille et son cavalier et sombre dans le lac, entraînant les passagers. Le jeune homme en réchappe miraculeusement, sans se douter qu'il vient de mettre le pied dans une toile bien trop grande pour lui. Aidé de ses amis Ernest le baroudeur, Agathe sa servante, et Angela une jeune Germanienne traquée par son propre pays, il devra déjouer les plans d'une histoire d'espionnage d'envergure internationale, tout en étant chassé par un assassin et poursuivi par une étrange créature issue de la vape...

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Le décor est une Belle Époque plongée dans la vape, un étrange brouillard qui est une source d'énergie pour les machineries comme les dirigeables, et de pollution. De cette vape toxique naissent plein de créatures tapies dans les tréfonds des eaux et des forêts. C'est sur cette brume que cette société du XIXe s'est bâtie. Les gens de la haute habitent sur des piliers, en hauteur, et se déplacent dans les airs, notamment grâce aux gargouilles, et le petit peuple, lui, traînent ses savates en bas, dans la brume fétide. La hiérarchie sociale n'est donc pas que figurée, elle est aussi littérale (pour ne pas dire verticale). La Gallande est en compétition avec les pays avoisinants, tels que la Germanie, l'Anglésie, la Lupanie et l'Hispanie. Tous ces pays ne sont pas sans rappeler des pays actuels... Cette compétition, ou guerre économique, se base sur la recherche incessante de ressources énergétiques comme l'ignium, qui permet l'invention de nouvelles technologies. L'auteur a planté un univers riche et fascinant, qui fait la part belle aux piques écologiques et reproche l'avidité mortifère des hommes pour l'argent.
On prend plaisir à suivre différents personnages tout au long du roman : Gerfon, Ernest, Agathe, Angela, Bastien, tous ont voix au chapitre : le point de vue interne les rend vivants et attachants, et parsème la lecture de tranches de vie intrigantes. Personnellement, j'ai beaucoup apprécié Ernest, qui est un aventurier courageux et marginal.

Toutefois, il y a des points négatifs. J'ai trouvé l'enquête mal menée : des hypothèses venues d'on ne sait où énoncées par Agathe (qui est bien renseignée et véhémente pour une domestique) sur l'accident de navette auquel Bastien a réchappé, et sur la bombe déposée dans le bureau de Dumanche, le patron de la société qui gère les gargouilleries : Bastien a vu l'assassin, et de ce fait, Agathe en tire la conclusion qu'il va vouloir le tuer. De même pour la fin : tout le monde se retrouve sur le Gigantique, le plus grand dirigeable au monde, y compris l'assassin et l'inventeur tant recherché tout au long du livre. Pourquoi ce dernier se trouve à bord ? Aucune idée.
De plus, on a l'impression que les chapitres sont collés les uns aux autres par un assemblage douteux, ils ne se répondent pas tous, et certains sont même inutiles (je pense à l'aventure d'Ernest qui est plutôt dispensable même si agréable à lire). Plein d'éléments se retrouvent également sans réponse : pourquoi Bastien a-t-il vu l'assassin alors que ce dernier portait sa fleur d'invisibilité ? Pourquoi est-il poursuivi par une araignée géante (la même que celle à laquelle Ernest a eu affaire lors de son expédition) ? Et la fin : quel est le point, comme diraient nos amis Anglais ?
J'ajouterais de la maladresse dans la narration : un mélange des temps verbaux confondant : un coup on a du présent, un autre du passé simple. Il faut choisir.
Enfin, quel est le rapport entre le titre et le livre ?

En conclusion, La Forêt des araignées tristes a un univers très intéressant, qu'on aurait aimé voir davantage développé, avec de belles trouvailles (je pense notamment aux gargouilles comme moyen de transport, ça m'a beaucoup plu) mais une trame trop emmêlée et décousue pour que ce roman reste en mémoire. Dommage.


Ce roman a été lu dans le cadre du 7e challenge de littérature de l'imaginaire.



La Forêt des araignées tristes, éd. ActuSF, coll. "Les Trois Souhaits", 2019.

samedi 2 mars 2019

"À la casserole n°4" : entretien avec Lionel Davoust

Photo par Damdamdidilolo.
Est-ce que Lionel Davoust est encore à présenter ? Auteur de fantasy et de thriller français, il a remporté le Prix Elbakin.net pour le premier tome de sa série Les Dieux sauvages : La Messagère du ciel, en 2017, aux éditions Critic, maison d'édition rennaise qui publie l'auteur depuis plusieurs années. Très actif sur les réseaux sociaux, il propose également sur son blog des billets sur l'écriture et anime un podcast intitulé "Procrastination" avec Mélanie Fazi et Laurent Genefort. Tous trois "discutent de l’art et de la technique de la narration, partagent leur expérience, et s’aventurent aussi, à l’occasion, dans les domaines de l’édition et du marché du livre". Merci à Lionel d'être passé à la casserole !

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1) Présentez-vous en quelques mots :

Coucou, je m’appelle Lionel Davoust et j’écris des bouquins, principalement de fantasy, un peu mâtinée de science-fiction, parfois avec des éléments de thriller. Je m’efforce de partager ce que j’ai pu apprendre sur le métier à travers des ateliers, mon site et un podcast que j’anime avec mes camarades Mélanie Fazi et Laurent Genefort, appelé Procrastination. J’ai aussi fait beaucoup de traduction littéraire, il m’arrive de faire de la direction d’ouvrage, et à côté je compose de la musique électronique quand j’ai le temps. J’ai été jadis biologiste marin et je trouve que l’orque est le meilleur animal du monde. 

2) Pourquoi avoir choisi l’écriture comme moyen d’expression ?

Parce que c’est le super-pouvoir le plus incroyable de l’existence. On peut communiquer avec quelqu’un en différé. C’est pas formidable ? Quelqu’un me laisse sa pensée avec des mots – qui peuvent faire plein de choses : m’apprendre une notion, me raconter une histoire – et moi, je peux en profiter en son absence. Le plus incroyable, c’est que ça marche aussi avec des gens morts !

3) Quels sont vos genres et formes de prédilection à la lecture ? à l’écriture ?

L’imaginaire, encore et toujours. J’aime imaginer, ou qu’on m’entraîne dans ce qui pourrait être. Qu’on dépasse les limites de la réalité pour rêver à des possibles différents, et qu’on me fasse rêver, vibrer, pleurer au passage. Et forcément, on tend à écrire le genre qu’on aime lire.

4) Comment définiriez-vous votre style ?

J’aime assez peu définir car définir, pour moi, c’est enfermer. Et justement, je m’efforce de pouvoir adapter mon style aux besoins de l’histoire ou de la scène en question ; de faire en sorte, autant que j’en suis capable, de trouver une adéquation entre le fond (ce que je raconte) et la forme (comment). Du coup, j’essaie tant que possible d’adopter des styles divers car pour moi, ce qui compte avant tout, c’est l’histoire, le fond. Tout doit viser à la servir.

5) Quels sont les textes qui vous ont marqué en tant que lecteur ?

Je reviens toujours à L’Écume des Jours de Boris Vian et à la saga des Princes d’Ambre de Roger Zelazny, les deux récits rencontrés à l’adolescence qui m’ont fait comprendre que l’écriture, c’est avant tout la liberté et la passion. Dans un autre domaine, je crois que je ne cesserai jamais de décompiler l’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche et l’Essai d’exploration de l’inconscient de C. G. Jung.

6) La citation qui vous ressemble :

« Ce qu’on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l’extérieur comme un destin. » – C. G. Jung, justement.

7) Là, maintenant, tout de suite, rédigez deux lignes sur votre environnement :

Soirée torride dans les collines de la grande banlieue de Melbourne. Malgré l’heure tardive, je reste à travailler dans la cuisine, la seule pièce un peu fraîche. À côté de mon iPad, je consulte mon téléphone périodiquement pour surveiller l’avancée du feu de forêt qui se dirige un peu trop dans notre direction à mon goût…

8) Quand vous étiez petit, que vouliez-vous faire quand vous seriez grand ?

À peu près ce que je fais, en fait. Il ne se passe guère de jours sans que je remercie la providence de m’avoir conduit où je suis.

9) Quel personnage de fiction aimez-vous le plus ?

Corwin d’Ambre, dans les Princes sus-nommés. Un enfoiré magnifique.

10) Teaser : qu’écrivez-vous en ce moment ?

Haha, c’est pas tellement un teaser puisque je suis sur cette série depuis bientôt quatre ans : je boucle le troisième volume de la saga Les Dieux sauvages, de la fantasy post-apocalyptique qui fait quelques clins d’œil à Jeanne d’Arc. Il s’appellera La Fureur de la Terre, c’est un immense pavé d’au moins 1,4 millions de signes (700 pages à vue de nez) et mon éditeur (Critic) dit que c’est mon meilleur bouquin à ce jour… ce qui est vraiment rassurant à entendre quand on boucle un tel pavé !


Merci à Lionel !



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