jeudi 17 octobre 2019

Le Dieu dans l'ombre, de Robin Hobb


Le Dieu dans l'ombre a été à l'origine publié en 1991 sous le vrai nom de Robin Hobb, c'est-à-dire Megan Lindholm. Cette année, une nouvelle édition est sortie chez ActuSF, qui me l'a gentiment fait parvenir en SP. Ce roman  fantastique a reçu un accueil enthousiaste et je me suis plongée dans sa lecture avec une intense curiosité tellement il diffère des livres que l'on connaît de l'autrice.

________________________________________

Dans les années 1970, en Alaska, Evelyn mène une vie paisible avec son mari Tom et leur enfant Teddy, jusqu'à ce que Tom propose de partir un mois dans l'État de Washington pour aider à la ferme de son père. Ils quittent donc leur chalet proche de la nature pour une vaste entreprise familiale, celle des Potter, dans laquelle Evelyn ne se sent pas à son aise. Simple et réservée, elle a du mal à s'intégrer à sa belle-famille, qui la juge constamment. En décalage avec la mère et les sœurs de Tom, qui sont des femmes de la ville très apprêtées et de parfaites ménagères, Evelyn se sent perdue. Elle tente alors en vain de se transformer en épouse dévouée et complaisante, s'occupant de Teddy et de la petite maison prêtée par les Potter, pendant que Tom aide son père. Très vite, ce quotidien aliénant ravive des souvenirs, ceux de son enfance à Fairbanks, lorsqu'elle passait ses journées dans les bois, à chasser et jouer en compagnie d'un étrange individu : un faune, qui... à l'aube de son adolescence, a disparu. Mais l'ombre de Pan ne l'a jamais totalement quittée, et dans l'ennui de la ferme des Potter, elle ressurgit, et l'appelle à se libérer...

________________________________________

Le Dieu dans l'ombre est un récit surprenant, intime et pénétrant. On retrouve la plume sensible de l'autrice de fantasy Robin Hobb, mais on découvre une facette davantage poétique, je dirais même "féminine", avec Megan Lindholm. En effet, le point de vue interne permet de dérouler toute la palette d'émotions et de pensées d'Evelyn, une jeune femme partagée entre son envie de liberté et celle d'être aimée, de rentrer dans le moule. Ayant peu confiance en elle, elle s'est laissée prendre par l'assurance d'un homme et la vie de mère de famille, rôle qu'elle n'a pas remis en question tant qu'elle ne quittait pas l'Alaska. Se pensant terne et bizarre, elle vit dans la gratitude qu'un homme tel que Tom - grand, beau, fort - puisse s'intéresser suffisamment à elle pour l'épouser et lui faire un enfant. On va voir au fur et à mesure du récit cette facette hésitante et soumise d'Evelyn évoluer, notamment grâce à son envie de liberté, et l'attrait de Pan, revenu dans sa vie... 

La forêt, décor central du roman, est tantôt baignée de soleil, tantôt couverte de givre, tantôt silencieuse, tantôt bruissante de toutes les vies qui l'habitent ; elle se pare de toutes les couleurs des saisons, elle sent l'humus, la rosée, elle protège et nourrit ; cette forêt, qui parcourent tous les États-Unis, est un havre, mais aussi un terrain de transition : Evelyn y trouve à chaque fois refuge et se découvre, s'initie, c'est le lieu des vérités, celles que l'on cache quand on est civilisé, au sens propre du terme. Mais même si l'esprit d'Evelyn et le dieu Pan évoluent dans son ombre, tout dans ce roman est lumineux. 

En plus d'être un roman initiatique, Le Dieu dans l'ombre est un roman d'amour. De plusieurs amours précisément : l'amour propre et l'amour profond et désintéressé. En effet, Evelyn apprend à reconnaître sa propre valeur, à accepter qui elle est, c'est-à-dire une jeune femme sauvage qui préfère cueillir des champignons et chasser le lapin dans les bois plutôt qu'une pimpante épousée qui flâne dans les magasins ; quant à l'amour désintéressé, c'est Pan qui va le lui apprendre, en lui enseignant le lâcher prise et en l'aimant inconditionnellement. Mais aussi amour animal, amour hybride, amour maternel, toutes ces formes se présentent dans ce roman pour dresser un portrait de déesse d'Evelyn. Elle est la Déesse-Mère, l'amante et la mère, elle réconforte et nourrit, se soumet pour mieux prendre l'énergie. 

Le roman se scinde en deux parties, qui sont à mettre en corrélation avec les deux hommes qui partagent la vie d'Evelyn : Tom et Pan. Tom est l'envers de Pan : c'est l'humain policé, qui refoule son animalité et n'accepte ni l'échec ni la mort, ne prend pas ses responsabilités. Pan est le dieu discret, mi-bouc mi-homme, il vit depuis des milliers d'années au fil des saisons et ne connaît que l'instant présent et ses désirs. C'est auprès de lui qu'Evelyn trouve consolation et réaffirme son appartenance au monde boisé et sauvage. Mais pour un temps, car on la quitte alors qu'elle retrouve son chalet en Alaska, en peine mais délivrée. Car la simplicité et les bras chauds de Pan ne signifient pas éternité ni bonheur, mais simplement vérité et confiance.

Enfin, je voudrais insister sur la côté mystique de ce long roman. Plonger dans cette lecture, c'est plonger dans une expérience sensorielle et spirituelle. Les chapitres se référant à l'enfance d'Evelyn enfoncent le lecteur dans l'incertitude : est-ce que la petite Evelyn rêve ? Le faune existe-t-il vraiment ? Ami imaginaire devenu plus tard amant imaginaire ? Le dernier tiers du livre soulève le voile, mais nous dépose à la porte du chalet d'Evelyn confus. Comme nous l'avons dit plus haut, la forêt permet l'initiation de la jeune femme aux secrets de Pan et de la nature. La construction du roman suit ce chemin : le réveil d'Evelyn à elle-même et à Pan l'emmène dans ces bois, elle marche jour après jour, remontant les États-Unis jusqu'au Canada, pour finir dans une grotte au sommet de montagnes, symbole par excellence de la fertilité et de la maturation. Lorsqu'il est temps d'en repartir, c'est le printemps, donc un nouveau cycle qui commence, et il est temps pour elle de revenir au monde, armée de nouvelles connaissances et expériences.

Il y aurait tant à dire sur Le Dieu dans l'ombre ! Les pistes de réflexion que je propose ne sont que des esquisses et ne rendent pas hommage à la diversité des thèmes et interprétations de ce roman. J'ai pu lire ici et là qu'il s'agissait d'un roman féministe. Je ne lui donnerais pas ce qualificatif, car malgré tout, Evelyn se réalise à travers un pendant masculin, mais par contre, je le rapprocherais du féminin sacré, car la figure féminine y est traitée d'une manière mystique. 

Pour conclure, pas de points négatifs à apporter à ce roman brillant, dont on ressort comme d'un rêve ou d'une longue balade en forêt.


Ce roman a été lu dans le cadre du 7e challenge de littérature de l'imaginaire et du Pumpkin Autumn Challenge.



Le Dieu dans l'ombre, Megan Lindholm alias Robin Hobb, éd. ActuSF, coll. "Perles d'épice", 2019.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire