mardi 28 mai 2019

Le Choix du Roi, de Solène Bauché


Le Choix du Roi est le premier roman de Solène Bauché, publié en autoédition. Je remercie l'autrice de m'avoir donné l'opportunité de lire son livre, du roman historique saupoudré d'un peu de magie, à la psychologie fine.

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Au VIIIe siècle après J.-C., Charles et son frère Carloman se partagent le royaume des Francs suite à la mort de leur père, Pépin le Bref. La rivalité des frères atteint son point culminant lorsque Carloman décède mystérieusement, laissant l'empire entier à son frère, qui deviendra le célèbre Charlemagne. Ce dernier assoit son pouvoir grâce à de multiples guerres de conquêtes, notamment contre les Saxons, et grâce à des mariages. De ses quatre mariages naissent une belle ribambelle d'enfants, mais seuls certains restent ses héritiers ; ainsi, les premiers, issus de son mariage de jeunesse avec la belle Himiltrude, sont rejetés et déchus au rang de bâtards lors de la répudiation de cette dernière. Deux enfants, un frère et une sœur, qui grandissent loin de l'autre dans l'humiliation et la déchéance de leur statut : Amaudra dans un couvent avec sa mère, le petit Pépin (appelé le Bossu) à la cour auprès du roi, mais maltraité par ses demi-frères et écrasé par l'autorité d'un père mal aimant qu'il admire malgré tout. Cependant, le destin finit par réunir ces deux êtres torturés. Vont-ils prendre leur revanche ?

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Cela faisait très longtemps que je n'avais pas lu de récit historique. Aussi, lorsque j'ai reçu la proposition de l'autrice de chroniquer son livre, j'ai accepté immédiatement. Même si l'on sait tous qui est Charlemagne, on en connaît finalement bien peu sur sa vie. Solène Bauché détache ainsi l'homme de la légende, et nous plonge dans la psyché de ce célèbre personnage.
En effet, le gros point fort de ce roman est la maîtrise psychologique des protagonistes. D'une plume fluide et détaillée, l'autrice brosse les caractères bien trempés de Charles, Pépin le Bossu et d'Amaudra. On peut découvrir un roi Charles au départ très influençable et jaloux de son frère, un mari qui peut être aimant puis cruel, prêt à tous les sacrifices pour accéder au pouvoir et agrandir son royaume. Le Grand Charles, galvanisé par ses femmes et conquêtes, à qui la couronne ne permet pas de faire preuve de sollicitude envers ses premiers enfants. Pépin le Bossu est une belle surprise de ce roman : au départ pleutre et complètement écrasé par les humiliations quotidiennes reçues à la cour à cause de sa difformité, il se révèle petit à petit un personnage plein de courage et d'une grande bonté, en partie grâce à l'apparition de sa sœur dans sa vie. Amaudra est la femme forte du récit : enfermée dans un couvent humide avec sa mère dès la plus tendre enfance, elle échappe à cette vie vouée à la tristesse par le mariage, arrangé par son père. Cependant, ce mariage se révèle être un vrai cauchemar, et seuls sa force et son courage vont lui permettre de s'en sortir. L'autrice insiste bien, depuis le début, sur le caractère spécial de la jeune femme, sur ses yeux dorés et son feu intérieur. Finalement, s'il ne devait y avoir qu'un héros dans ce roman, ce serait elle.
Le Choix du Roi est un roman choral, qui peut dérouter. La construction du récit se fait suivant divers points de vue : d'abord interne, puisque plusieurs parties sont racontées par les personnages principaux eux-mêmes, et omniscient : appelés "intermèdes", le narrateur profite de quelques chapitres ici et là pour conter l'histoire en suivant des personnages secondaires (par exemple Himiltrude, ou Ermelinde, amie d'Amaudra). Ce choix narratif est judicieux pour mieux cerner les agissements des protagonistes et les rendre vivants. L'Histoire, bien que romancée, ne nous semble que plus proche !
Cet aspect fictionnel est renforcé par la magie présente, qui est cependant simplement suggérée par les dons de guérisseuse d'Himiltrude, dont hérite Pépin, et l'étrangeté d'Amaudra. Ce don se manifeste à des moments précis qui servent soit d'éléments déclencheurs soit de dénouements.
Ce roman complexe, dont on pourrait penser que le désamour filial est le thème principal, traite en vérité de la rédemption : thème très chrétien, ce trio de personnages cherche en effet à se faire pardonner, qui d'un abandon, qui d'une tentative d'assassinat, qui d'une vengeance, mais également à se libérer d'un passé trop lourd, conséquence du choix royal, celui de les sacrifier sur l'autel du pouvoir.

Malgré ces points positifs, ce roman contient quelques faiblesses. On décèle un abus de pathos qui peut énerver plus d'un lecteur : Pépin en particulier se plaint presque sans interruption et ce sur des pages et des pages. De même, Amaudra, qui semble ne vivre que dans le passé, passe son temps à se remémorer sa cellule humide de couvent dans laquelle elle vivait avec sa mère, qui n'est plus dépeinte que comme une pauvre créature. Ce passé prend une telle place dans l'histoire qu'on en vient à se demander si les personnages ont un avenir. Le seul qui avance à grands pas et rayonne, c'est Charlemagne, mais seulement jusqu'au tiers du livre.
En effet, la construction narrative laisse à désirer : les points de vue s'alternent, certes, mais uniquement à partir d'un certain moment ; avant, nous n'avons que l'écho de Charles. Ce déséquilibre dans la structure fait qu'on ne sait pas du tout à quoi s'attendre et rend le récit bancal. Effet voulu ou bien l'autrice a-t-elle écrit sans plan préalable ? Ainsi, le récit tire beaucoup en longueur et le dénouement final en vient à être décevant, même si on comprend la dimension symbolique : le père délivre ses enfants de leur passé tourmenté en faisant un nouveau choix : celui de les laisser libre. Ce qui appuie cet effet de longueur est aussi le fait qu'Amaudra et Pépin en fuite n'ont aucun plan : ils errent, et c'est tout. Ça m'a interpelée jusqu'à la fin, jusqu'à ce qu'ils rencontrent leur père comme par miracle dans les bois.
L'autre point faible serait les clichés véhiculés : Amaudra se fait violer un nombre incalculable de fois, ce qui forgerait son caractère, Pépin se fait avoir par une belle femme à cause de sa naïveté de jeune puceau, et Charles se fait embobiner, d'abord par sa mère, puis par ses épouses les plus "mauvaises".
Enfin, en commençant ce roman historique, je m'attendais à apprendre et lire pas mal de choses du contexte historique du VIIIe siècle. Mais lorsqu'on perd la voix de Charles, tout ce côté s'évapore, et on ne sait presque plus si l'intrigue se passe au Moyen Âge ou dans une contrée imaginaire...

Ces points négatifs mis à part, j'ai passé un bon moment de lecture. Un meilleur équilibre dans le récit et une intrigue plus poussée l'aurait rendu meilleur, car de bons personnages ne font pas tout !


jeudi 16 mai 2019

Accouchement. Les femmes méritent mieux, de Marie-Hélène Lahaye


Accouchement. Les femmes méritent mieux est un essai féministe de Marie-Hélène Lahaye, connue surtout pour son blog Marie accouche là - Explorations politiques et féministes autour de la naissance, paru aux éditions Michalon. Féministe belge convaincue, écologiste, l'autrice est désormais entrée en politique pour défendre ses valeurs, dont celle de la naissance respectée.

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Ce livre est conçu comme un plaidoyer de l'accouchement physiologique. D'ailleurs, pourquoi nommer ce "type" d'accouchement ainsi ? Parce que depuis une centaine d'années, l'accouchement est devenu médicalisé - à outrance. Marie-Hélène Lahaye raconte son parcours : son accouchement en maison de naissance qui lui a ouvert les yeux, grâce à des praticiens bienveillants, et l'envie décisive de creuser le sujet, en créant notamment son blog en 2013 qui a eu un succès retentissant. Ce blog a recueilli de nombreux témoignages de femmes racontant leur accouchement, et la blogueuse s'est transformée en autrice. Remettre l'accouchement dans le champ de bataille du féminisme, voilà le sujet. En effet, la naissance a été un sujet longtemps ignoré des féministes, pour qui le slogan "un enfant si je veux, quand je veux" résumait simplement le désir de contraception, d'accès à l'IVG, et plus tard, l'amoindrissement de la douleur de la parturition grâce aux avancées médicales. 

Cet essai en sept parties, façonnées de chapitres cours et incisifs, démontre bien à quel point l'abandon féministe de cette sphère a été la porte ouverte à la maltraitance médicale, qui sévit depuis le XVIIe siècle. Voici les parties composant ce livre : "La peur comme arme de soumission" (ou comment on oblige les femmes à accoucher à l'hôpital en leur agitant le spectre de la mort sous le nez), "L'accouchement physiologique et l'accouchement masculin" (le premier chapitre de cette partie est une bouffé de puissance pour toutes les femmes qui n'ont pas confiance en leurs capacités d'accoucher, le second montre comment les hommes se sont accaparés cette puissance), "Les dogmes de l'obstétrique" (l'autrice explique et démonte les fausses croyances sur l'accouchement et le dogme de toute-puissance de l'obstétricien, pour qui la femme est un animal ignare et irresponsable), "Mon corps m'appartient" (il faut avoir le cœur accroché pour lire ces chapitres sur tous les actes médicaux comme les touchers vaginaux, l'épisiotomie, etc, qui sont presque tous pratiqués sans le consentement de la patiente et de façon intempestive), "La violence obstétricale" (l'autrice rapproche un accouchement "lambda" à l'hôpital à la torture, à travers des arguments édifiants), "Les injonctions de genre" (partie importante sur les stéréotypes de genre, qui doivent s'affirmer même lors d'un accouchement : les femmes doivent rester "à leur place", c'est-à-dire douce et passive, et le père est souvent utilisé par les soignants pour "calmer" la parturiente ; cette partie remet aussi en question l'usage de la péridurale, à double tranchant : instrument qui soulage mais qui aussi immobilise et calme la femme...), "Le privé est politique" (guerre des sexes, ou guerre entre sages-femmes et gynécologues-obstétriciens depuis la nuit des temps), et enfin "Pour un féminisme de la naissance" (l'accouchement ne doit plus être un sujet ignoré des féministes, le slogan "un enfant si je veux quand je veux" se voit ajouter "et où je veux", car les femmes ont encore peu le choix du lieu de leur accouchement).

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Accouchement. Les femmes méritent mieux peut faire peur. En effet, l'autrice dénonce, accuse même, les violences obstétricales et les conditions d'accouchement en France de nos jours : trop de pratiques médicales invasives, stress induit par le personnel et leurs décisions aberrantes qui vont à l'encontre du bon déroulement naturel de la parturition, spectre de la mort qu'on agite devant toutes les femmes récalcitrantes, tout est bon pour contrôler le corps des femmes. Depuis des dizaines d'années, on ne sait plus accoucher naturellement, on nous a appris que notre corps était incontrôlable, sauvage, imprévisible, faible, inapte. Pas étonnant que l'approche de ce grand événement nous terrifie et que l'on s'en remette aux mains des médecins, qui pratiquent des actes parfois traumatiques. On se soumet doctement, remettre en question les paroles des blouses blanches ne nous vient pas à l'esprit, ou alors avec culpabilité.
Mais sommes-nous si faibles que nous ne pouvons accoucher sans toute l'armada de machines et de personnels d'un hôpital ? Et bien non (bien sûr, hors grossesse et accouchement pathologiques). L'autrice rassure et explique que le corps féminin sait accoucher, propose le bon déroulement d'un accouchement libre, donne les informations nécessaires pour appréhender ce moment de façon plus sereine, et surtout, donne le choix : avoir le choix de dire non, de demander des explications, de choisir l'endroit, l'équipe soignante, bref, elle nous enjoint à faire entendre notre voix. 
Cet essai se veut aussi scientifique, en effet, il est rempli de références bibliographiques, l'autrice s'appuie donc sur des études et des faits qu'il serait difficile de remettre en cause. Plus qu'un pamphlet vindicatif, il s'agit d'une vraie mine d'informations. La bibliographie proposée à la fin est très complète et diversifiée, et nous encourage à mener la réflexion plus loin.

Cet essai remet donc en question totalement les normes d'accouchement et insuffle une énergie aux futures mamans pour qu'elles osent se documenter et se faire respecter, et je le recommande à 100% à quiconque s'intéresse au sujet !

Voici le dernier paragraphe de l'ouvrage, qui laisse comme un écho une fois le livre refermé :

Replacer les femmes au cœur du processus demande de revoir complètement la façon dont la société considère la naissance. Permettre aux femmes de se réapproprier leur corps au moment où elles donnent la vie implique un renversement complet des rapports de force. Rendre les femmes maîtresses de leur accouchement exige, ni plus ni moins, une révolution.


Accouchement. Les femmes méritent mieux, Marie-Hélène Lahaye, éd. Michalon, 2018.

jeudi 2 mai 2019

Coup d'État, tome 1 : La reine des esprits, de Valérie Simon


Valérie Simon est une autrice de fantasy française, qui a participé à de nombreuses anthologies dont L'antre des sorciers des éditions Rivière Blanche (2012), On a marché des éditions Sombres Rets (2013), ou encore Âmes ténébreuses, cœurs lumineux des éditions du Chat Noir (2016). Elle a également publié plusieurs romans, aux éditions du Fleuve Noir et du Riez (arrêtée en 2017). Coup d'État a été édité en premier lieu en 2015 aux éditions du Riez, mais a été repris par ActuSF, que je remercie encore une fois pour l'envoi de ce beau service presse ! Cette lecture m'a enchantée !

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Le royaume d'Alsybeen est riche de son Cristal, fait d'une étrange poussière dont l'extraction est dangereuse. Ce petit pays prospère, dirigé par Soth Shoddam, attire toutes les convoitises, celles des héritiers de l'empire des Rauthan et de l'ordre du Denaia, curieuse organisation de femmes qui a la mainmise sur tous les peuples. Le Denaia immisce ses espionnes dans toutes les cours, et a à cœur de renverser Alsybeen. Pour cela, la jeune héritière du royaume doit mourir. Alia Shanine de Messaline rentre à peine de dix ans d'exil qu'elle esquive une première attaque. Cette dernière signe son retour d'une façon funeste : son chemin sera désormais semé d'embûches. Mais ce douloureux retour au pays sera adouci par quelques rencontres heureuses : celle d'Aresu, sa fidèle servante, les retrouvailles avec War'en, ancien ami d'enfance devenu son garde du corps, ou encore celle de Bucko Javis, mystérieux mercenaire qui prend la jeune femme sous son aile.

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Coup d'État est un roman à cheval entre intrigues politiques et amoureuses. La plume de l'autrice est fluide et riche d'un vocabulaire exotique. En effet, les descriptions nous transportent dans un univers chaud et suave, fait de mer brillante, de sable doré, de landes abruptes et de palaces immenses et somptueux à l'architecture incroyable. Les cités de Télessine, Rauthan, ou Valenz sont les trois villes principales de ce roman, des lieux de pouvoirs rivaux. L'environnement, entre désert et mer, n'est pas le seul à dépayser, les animaux présents sont également surprenants : différents reptiles, du plus petit au plus grand, servent les hommes peuplant ce monde, comme les tréhorns (sortes de reptiles de très grande taille à trois cornes,) des canis (de taille moyenne, ils remplacent les chiens), ou encore des gwars (gigantesques, ils tirent les volkhers, des vaisseaux manœuvrant grâce au fameux Cristal, transformé en source d'énergie). Cuirasses des soldats, robes vaporeuses des femmes, parfums envoûtants, écailles brillantes, ce roman vous emprisonne dans ses charmes dès les premières pages.

L'héroïne, Alia, est bien campée. Adolescente éduquée par Valenz, elle est une Initiée qui n'a pas donné son allégeance au Denaia, et de ce fait, doit être éliminée. Comme toutes les femmes initiées, elle manie les armes, aussi bien faites de Cristal que mentales... Mais elles sont aussi physiques. En effet, ces femmes sont choisies pour leur extrême beauté, et Alia ne fait pas exception. Elles apprennent le langage de l'amour et à envoûter les hommes avec leurs atouts féminins. Dans un monde patriarcal, le Denaia use de la faiblesse des hommes - la chair - afin de garder le pouvoir, tout en exerçant dans l'ombre. J'ai apprécié le caractère frais d'Alia, mais résolument indépendant. Parfois ingénue, mutine, sérieuse ou révoltée, la jeune princesse emmène le lecteur dans un maelström d'émotions et d'actions. J'ai suivi avec délectations ses échanges avec l'officier Meker War'en, Backo Javis ou encore Haslet Jorka, prince des Rothan, trois jeunes hommes dont elle s'attache les cœurs. La dimension amoureuse et érotique est justement dosée et ravira tous les amateurs de romance !

Enfin, les intrigues politiques donnent une vraie dimension à ce roman. Les ficelles sont tirées par les femmes du Denaia, en particulier la vieille Mircea Karach Wee, conseillère de l'empereur que tout le monde craint et respecte. L'autrice réussit de vrais retournements de situation et on ne peut que voir une certaine bataille entre hommes et femmes pour le pouvoir tout au long du roman. Les uns combattent par les armes, les autres par leurs charmes et poisons. On ne peut que se demander si l'assassinat prémédité d'Alia n'est pas tant une vengeance qu'un moyen détourné de garder le contrôle sur la cité. En effet, comment contrôler une femme éduquée par le Denaia quand on peut et qu'on a appris à contrôler les hommes, si prévisibles ?

Je n'aurai pas de mauvais points à distribuer à ce roman, que j'ai adoré de bout en bout et que j'ai trouvé très maîtrisé ! J'attends la suite avec impatience, et je ne peux que vous enjoindre, si vous aimez la fantasy, les intrigues sournoises et la sensualité, à vous le procurer.


Ce roman a été lu dans le cadre du 7e challenge de littérature de l'imaginaire.



Coup d'État, tome 1 : La reine des esprits, Valérie Simon, éd. ActuSF, coll. "Naos", 2019.