mercredi 8 avril 2020

Les Ombres d'Esver, de Katia Lanero Zamora


Katia Lanero Zamora est une autrice belge, et a publié aux éditions ActuSF Les Ombres d'Esver, un roman de fantasy à la couverture magnifique signée Alexandra V. Bach. Je remercie d'ailleurs l'équipe d'ActuSF pour ce SP et leur confiance. Ce livre m'a beaucoup plu et je vous dis pourquoi.

________________________________________

Amaryllis vit recluse dans le manoir d'Esver, qui tombe en décrépitude. Étudiant d'arrache-pied la botanique sous la houlette sévère de Gersande, sa mère, l'adolescente rêve de s'échapper et de partir en voyage. Chaque soir, avant de se coucher, elle est contrainte d'avaler une étrange mixture qui la plonge dans un sommeil comateux dans lequel veillent des ombres terrifiantes et qui est censée contenir sa "maladie". Mais cette vie austère pèse lourd sur ses épaules, tout comme la contrainte de ses nuits faites de néant. Que se passerait-il si elle arrêtait son traitement ? Si elle désobéissait à sa mère, qui rêve de la voir intégrer le prestigieux institut de botanique Théophraste d'Erésos ? Et surtout, Amaryllis est-elle prête à découvrir les secrets d'Esver ?

________________________________________

Avec Les Ombres d'Esver, Katia Lanero Zamora nous plonge de sa plume élégante dans un univers sombre et énigmatique. J'ai apprécié l'esthétique gothique du manoir : la bâtisse qui tombe en ruines, pleine de courants d'air et de passages secrets, le lierre mangeant les murs, les plantes exotiques étudiées par les deux femmes envahissant l'espace de vie, la serre, etc. Esver est une ode aux châteaux froids et tempétueux des romans gothiques anglais. Cette influence se retrouve dans les deux personnages principaux : Amaryllis et Gersande sont deux femmes avec un lourd passé, chétives et mal habillées, qui ont été maltraitées et abandonnées. Mais un feu les habite : la passion de la botanique pour Gersande, le désir de vérité pour Amaryllis. La comparaison avec les héroïnes des romans gothiques s'arrête là, car sous leurs airs fragiles, ce sont deux femmes fortes qui se battent pour ce qu'elles ont de plus cher. L'aspect gothique-fantastique se joue également dans le flou concernant le monde merveilleux qu'Amaryllis arpente la nuit. On peut se poser la question de savoir si elle rêve ou si tout ce qu'elle vit est réel...

Sous ses allures fantastiques, ce roman de fantasy mêle deux mondes encastrés l'un dans l'autre : l'Esver froid et triste qui se compose du château et de son immense jardin dans lequel évolue Amaryllis par défaut, et l'Esver magique, qui se trouve être un pays composé de multiples paysages et créatures telles que Féroce le bucentaure, Rouage le garçon aux jambes de fer, ou encore la Vouivre, qui veille de sa grande ombre ailée sur le royaume d'Esver. Pour entrer dans ce monde merveilleux, l'adolescente doit attendre 20h44, l'heure fatidique à laquelle elle est censée se coucher, heure à laquelle les ombres qui la guettent apparaissent... Ces mondes parallèles cohabitent avec beaucoup de mal, jusqu'à ce qu'Amaryllis décide d'arrêter son somnifère et de prendre sa vie en main.

J'ai beaucoup apprécié la relation mère-fille. Au départ, Amaryllis est passive et étouffe ses élans de liberté pour obéir - et faire plaisir - à sa mère. Cette dernière décide de tout pour sa fille ; leur relation est clairement toxique. Mais plus le récit avance, plus la jeune fille s'ouvre au(x) monde(s) ; et plus Gersande menace, pleure, panique, perd le contrôle, plus Amaryllis lui échappe et finit par découvrir la vérité : qui est vraiment sa mère, sous ses dehors froids et distants ? Leur duo conflictuel est également mis à mal par le père : Aurélien Dupont, terrible homme d'affaires qui les a abandonnées après le fameux jour où tout a basculé. Ce fameux jour est imagé par les reliefs de la fête qui a eu lieu dix ans plus tôt. Gersande a souhaité laisser en état la pièce, si ce n'est en guise de souvenir, alors en guise de punition. Violent et manipulateur, Aurélien fomente le mariage de sa fille avec son associé afin de revendre le manoir. Gersande souhaite à tout prix éviter ce sort funeste à sa fille.

Plus qu'un roman de fantasy, Les Ombres d'Esver est un roman d'émancipation féminine, représentée par un objet porté par Amaryllis, doté de multiples usages et symboles : le pic à cheveux (symbole de la condition féminine par excellence), qui se transforme en épée (symbole phallique et de pouvoir qu'Amaryllis s'octroie sans hésitation, épée avec laquelle elle pourfend ombres et monstres), et qui se trouve être au départ... la base d'une plume (symbole de l'érudition, par laquelle Gersande souhaite émanciper sa fille du contrôle paternel, tout-puissant même à distance).

Le dénouement est sans aucun doute la partie que j'ai préférée. Toutes les pièces du puzzle se mettent en place, et on comprend davantage le caractère maniaque et autoritaire de Gersande, et qui se cache derrières les ombres envahissant Esver, même si je m'en doutais un peu. La quête menée par Amaryllis pour délivrer Esver - et par la même occasion guérir sa mère (sa blessure physique reflétant la blessure du passé jamais cicatrisée) -, est semblable à un parcours initiatique : chaque partie du monde merveilleux d'Esver qu'elle visite correspond à une pièce du manoir, dans lesquelles on retrouve des indices sur l'époque fastueuse menée par la famille et ce qui a mené à sa déchéance, jusqu'à l'objet clef : un rubis. L'image de la jeune fille rendant la pierre précieuse à sa mère symbolise un nouveau lien, sans faux-semblants. Le dénouement apporte des éléments de réponse, mais les deux derniers chapitres ajoutent une couche de mystère. Finalement, le roman laisse le lecteur sur sa faim.

Pour conclure, je n'ai pas vraiment de bémols à apporter à ma chronique analyse, même si par exemple, j'aurais aimé qu'un soin tout particulier soit apporté au style, qui est parfois maladroit et pléonastique, ainsi qu'à la correction (des erreurs orthographiques sont malheureusement restées). Dans l'ensemble, j'ai passé un très bon moment de lecture et je vous la recommande !


Les Ombres d'Esver, Katia Lanero Zamora, éd. ActuSF, coll. "Naos", 2019.

1 commentaire:

  1. Les couvertures que proposent cette Maison sont souvent très belles, j'ai l'occasion de m'en rendre compte à chaque chronique que je lis.
    Je te remercie pour cette belle analyse - je préfère les analyses à un simple j'ai aimé/pas aimé, mais ça tu dois déjà le savoir. Elle me rend très curieuse et je pense que je pourrais me laisser tenter. J'avoue que le côté "émancipation" de la femme me freine un peu, j'ai l'impression de voir ce thème partout à tel point que cela m'insupporte. Je trouve que tout le monde se l'approprie et que cela perd de sa force... Reste donc à savoir si ce livre se l'approprie intelligemment mais cela a l'air d'être le cas!

    RépondreSupprimer