dimanche 16 décembre 2018

Alors voilà - Les 1001 vies des Urgences, de Baptiste Beaulieu


Alors voilà - Les 1001 vies des Urgences, est le premier roman de Baptiste Beaulieu, médecin généraliste à Toulouse. Au départ un blog d'anecdotes de soignants que l'auteur récolte et réécrit, Alors voilà se fait publier chez Fayard en 2013. Je me suis procurée la version de poche chez Le Livre de Poche sur un coup de tête, tout en connaissant l'auteur puisque je le suis sur Facebook. Baptiste Beaulieu est connu à la fois pour son blog, ses livres, mais aussi pour ses chroniques paraissant dans le Huffington Post et sur France Inter. À travers ses chroniques et livres, il tente de réconcilier le milieu médical et les patients, chose difficile étant donné la violence et le sexisme vécus et dénoncés par beaucoup de patientes sur le net ces temps-ci.

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Alors voilà - Les 1001 vies des Urgences, c'est une semaine dans la vie d'un jeune interne à hôpital, entre le service des urgences et le cinquième étage où se déroulent les soins palliatifs, racontant à une patiente en stade terminal des anecdotes drôles et émouvantes sur les soignants et patients évoluant autour de lui. Pourquoi lui raconter ces histoires ? Parce qu'elle attend son fils, coincé à Reykjavik à cause d'un volcan, et qu'elle ne souhaite pas mourir avant son retour... On découvre alors toute la vie - et la mort - qui défile dans un hôpital, et les cœurs qui se cachent derrière les blouses blanches.

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Petit roman, mais grand par la palette d'histoires et d'émotions qu'il nous livre. On passe du rire aux larmes, on s'attendrit, on s'inquiète, on vit avec le narrateur durant 300 pages, et quand la fin s'approche, on tourne les pages avec précaution et lenteur... Baptiste Beaulieu a une plume juste, parfois poétique, parfois vulgaire, mais toujours pleine d'humour et d'amour. Cet amour, on le sent pour son métier, pour ses collègues, pour ses patients, pour la vie, et il agit comme un baume au cœur pour le lecteur.
Ce livre permet de faire un lien entre les soignants et les (futurs) patients ; de rappeler aux médecins que derrière chaque blessure se trouve une personne et son histoire, et aux patients que derrière chaque médecin il y a un être humain qui est sans doute debout depuis 24h. L'auteur ramène de l'humanité dans le milieu hospitalier, et prouve qu'on peut être médecin sans avoir dû faire une croix sur son empathie !

Alors voilà - Les 1001 vies des Urgences marque profondément l'esprit. Ça m'a donné envie d'acheter les autres romans de l'auteur ! Je n'ai que du positif à écrire et vous incite fortement à vous procurer cette lecture, c'est mon coup de cœur de cette fin d'année !


Voici quelques extraits qui m'ont marquée : 

P. 125 : "Gériatrie" : quel horrible mot. On dirait un gâteau sec oublié au fond d'un placard. Comme les vieux. On les entrepose dans des maisons. On les oublie. L'été, on les laisse se dessécher et mourir. Ils nous font chier. Ils sont lourds à porter. Ils dérangent. Dans une société où l'individu vaut avant tout par sa productivité horaire, que peut-on attendre d'un vieux croulant ? Rien... Si ce n'est nous rappeler que l'Homme, même civilisé, même fort de toute sa technologie et de toutes ses techniques médicales, reste un singe évolué qui se fait pipi dessus à la fin de sa vie.
Vieillir est affaire de gravité. On est fatigué d'être debout. L'horizontale du sol nous tend les bras, on s'y laisse tomber, le bipède redevient quadrupède, gravit à rebours l'échelle de l'évolution. On se couche guenon ou chimpanzé.

Pp 147-148 : La maladie, tel un sortilège lancé au hasard, mute l'homme en "d'autres" choses : arbres, fleurs, fontaines, fruits, animaux. Ovide n'a rien inventé dans ses Métamorphoses : il est allé dans un hôpital retranscrire poétiquement ses observations. Il n'était pas poète, il était naturaliste.

P. 217 : Chirurgien Chef-Boulette, tout en délicatesse et subtilité, entre dans le bloc. La patiente, dénudée, est couchée sur le ventre. Boulette voit l'anesthésiste sur les starting-blocks, il en conclut que madame est déjà terrassée par le petit cocktail de son collègue. Première erreur, il a oublié la règle numéro 1 en médecine : toujours se méfier des apparences. Boulette s'approche et, devant le regard pétrifié de Poussin, il lève une une main grosse comme la nageoire d'un lamantin en rut, assène une grosse claque sur le postérieur dodu en s'exclamant : "En v'là du gros cuissot de rhinocéros ! Y a à manger dans la savane !" La patiente, terrifiée, lève la main et souffle à l'anesthésiste : "Finalement, je préfèrerais une anesthésie générale."

P. 241 : Les femmes battues sont comme la mer. Il y a le flux et le reflux. Elles viennent, repartent, reviendront encore, la plupart échouent à couper les liens qui les retiennent prisonnières de leur tortionnaire.
Pourquoi ?
Par amour, oui, on peut aimer un monstre quand il s'embusque sous le masque banal du quotidien. Par peur, très souvent. Par dévotion : "Il y a les enfants et ils vivent à la maison." Par espoir : "Il changera, il redeviendra celui dont j'étais tombée amoureuse." Par empathie : "Il est malheureux." Par dévalorisation : "Je ne suis rien."
Les femmes battues sont comme les vagues : elles se brisent chez nous et repartent avalées par le ressac des conventions et des obligations. Parfois, elles ne reviennent pas :
1 - elles ont, enfin, brisé leurs digues et pris le large. C'est bien ;
2 - ou elles se sont échouées sur les rochers et sont devenues écume de mer, comme la sirène du conte.


Alors voilà - Les 1001 vies des Urgences, Baptiste Beaulieu, éd. Le Livre de Poche, 2015.

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