dimanche 1 septembre 2019

La Terre des morts, de Jean-Christophe Grangé


Si le nom de Jean-Christophe Grangé ne vous dit rien, c'est que vous avez vécu dans une grotte depuis une vingtaine d'années ! Auteur de thrillers depuis 1994 avec la parution du Vol des cigognes, il multiplie depuis les romans à succès, le dernier en date étant La Dernière chasse, édité cette année. Mais je vais vous parler de son avant-dernier livre : La Terre des morts, que j'ai aussitôt acheté lorsque je l'ai vu en poche dans les rayons. Plongez dans les abimes de la psyché humaine avec moi !

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Le commandant Corso, homme cabossé par une enfance misérable, est appelé à enquêter sur le meurtre de deux strip-teaseuses : Hélène Desmora et Sophie Sereys, jeunes femmes aux étranges goûts sexuels. Ces terribles assassinats pointent vers Philippe Sobieski, célèbre peintre, autrefois malfrat qui a purgé 17 ans de peine en prison. Corso se rue alors dans une course-poursuite aux indices, le menant dans les bas-fonds de Paris et de la psychologie humaine. Cependant, son suspect lui échappe, semant sur sa route de troublants faits, pouvant tout remettre en question. Le peintre est-il vraiment l'assassin ? Corso réussira-t-il à mener l'enquête jusqu'au bout malgré les démons qui le reprennent ?

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Avec La Terre des morts, Grangé nous embarque dès le premier chapitre dans l'intrigue : Corso se retrouve au Squonk, bar à strip-tease, afin d'interroger les filles et surtout leur patron : Kaminski, à propos du meurtre de Sophie Sereys. Ambiance sombre et provocante dès le départ, le lecteur découvre au fil des premières pages le flic pas très catholique qu'est Corso, et les personnages véreux et amoraux qui évoluent dans les profondeurs parisiennes. C'est là tout le talent de l'auteur, qui impose le décor sans préambule et a le sens de la formule : directe et percutante. Le style est fluide, parfois vulgaire, parfois poétique - des respirations bienvenues dans l'acidité des métaphores et comparaisons -, et accompagne parfaitement les pensées du protagoniste principal.
En effet, Corso est un flic désabusé mais coriace, qui ne respecte pas vraiment les règles tant qu'il y a des résultats, qui enquête avec ses tripes. Personnage sans doute un peu cliché de l'enquêteur acerbe et blasé, dur à cuir qui a fréquenté plus que nécessaire la racaille et les mauvais poissons pullulant dans les bouges et les caniveaux. Ceci dit, on s'attache à cet anti-héros bourru et fêlé, qui voit sa rédemption dans la figure angélique de son fils. L'ennemi, Philippe Sobieski, est également bien campé et pour le coup original : ancien taulard qui a purgé 17 ans de peine pour homicide, en plus des cambriolages et viols répétés pendant son adolescence, il est devenu un peintre reconnu dans le milieu de l'art contemporain, qui l'a comme lavé de ses péchés. Mais on n'efface pas une vie de débauche et de prison par quelques toiles cotées : Sobieski est très connu pour ses nombreux(ses) amant(e)s et ses goûts sexuels très "développés", ainsi que son mépris des conventions. Il est un coupable idéal, peut-être trop idéal... J'ai trouvé le duo formé par ces deux personnages intriguant et bien ficelé, même s'il souffre d'un gros défaut - j'y reviendrai plus tard.
Les thèmes abordés ne sont pas pour rien dans l'immersion du lecteur : bondage, SM, l'auteur sait mettre en scène ces topoï racoleurs en en forçant le côté sombre et morbide : les jeux sexuels se font tortures consenties, pour esprits fragmentés. Ce serait là le gros cliché des personnages ayant ces pratiques : ils ont forcément eu des problèmes pendant leur enfance, à l'origine de leur goût pour la souffrance... Malgré tout, Grangé mêle toujours avec brio les intrigues policières les plus violentes à des histoires de familles alambiquées. Elles se font écho et s'imbriquent jusqu'à l'apothéose.
Enfin, l'intrigue en elle-même est loin d'être cousue de fil blanc. De chapitre en chapitre, le narrateur nous balade et on se sent aussi largué que l'équipe policière chargée d'enquêter. Les rebondissements se succèdent, les pistes s'emmêlent et ne vont nulle part, la lecture peut devenir aussi frustrante que l'enquête l'est pour Corso ! Le livre étant en deux parties, on arrive toutefois à la fin de la première avec une impression d'inachèvement : on sent bien que quelque chose cloche. La deuxième partie s'ouvre sur le jugement du présumé coupable, et le malaise continue, jusqu'au dénouement final, auquel je ne m'attendais pas !

Cependant, quelques points négatifs font que je ne suis pas totalement satisfaite de ma lecture. J'ai trouvé le duo formé par Corso et Sobieski un peu caricatural. Particulièrement Corso, dont la ténacité et "l'instinct" peuvent être lourds. En effet, celui-ci est persuadé que le peintre est l'assassin depuis le début, et sans aucune preuve véritable, il va se lancer à sa poursuite sans jamais le lâcher tout au long du roman. Son caractère borné et bagarreur lasse. On peut voir à des kilomètres qu'il va se planter à chaque fois qu'il prend une décision et qu'il n'est pas objectif pour un sou. Quant à Sobieski, il est décrit par ses amantes comme un "doux" qui a remisé la violence dans sa peinture, mais il est toujours montré arrogant et gouailleur ; je trouve que l'auteur n'a pas joué assez de cette façade "apaisée" chez Sobieski, qui aurait distillé encore plus le doute chez le lecteur et plus de profondeur dans le caractère du suspect.
Le deuxième point négatif est sans doute l'inutilité de certaines scènes ayant rapport à l'univers du SM. Certainement pour enfoncer le clou quant à l'aspect potentiellement très noir et écœurant de cet univers chez le lecteur lambda et le faire frissonner, ces scènes, qui ne font pas avancer l'enquête d'un poil, sont du pur ajout gratuit et voyeur.
Troisième gros point négatif : la résolution de l'intrigue. Tirée par les cheveux, presque outrancière, je n'ai pas été convaincue, et le déterminisme concluant le tout m'a fait tiquer : un(e) criminel(le) ferait forcément de sa descendance des pourris, des marginaux voués à reproduire ou à réparer ses erreurs. Ce serait génétique. Ce livre se termine donc sur un étrange sentiment, mélange de frustration et d'amertume.

En conclusion, malgré les points négatifs soulevés, j'ai apprécié cette lecture car les livres de Grangé sont de vrais page-turner et qu'il sont bien ficelés, que l'auteur sait renouveler l'intérêt de son lecteur à chaque chapitre et l'emmener visiter le côté sordide de l'humanité.


La Terre des morts, Jean-Christophe Grangé, éd. Le Livre de Poche, 2019.

2 commentaires:

  1. C'est un auteur que j'ai découvert il y a quelques années et en règle générale j'adore ce qu'il écrit! J'ai commencé avec La Ligne Noire, un régal!
    Malgré les 3 points négatifs que tu soulèves, le reste de ta chronique m'a convaincu de le lire dès que je pourrais me le procurer! C'est vraiment le genre de récit noir dont j'ai parfois besoin entre des lectures de SF ou de fantasy. Cela fait un moment que je n'ai rien lu de lui, il va falloir remédier à cela :)

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    1. Ça fait du bien de changer de registre ! En plus ça se lit vraiment tout seul donc on ne rechigne pas à la lecture ^^.

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