Louise Le Bars m'avait approchée en 2018 afin que je lise et chronique son roman Vert-de-Lierre, alors autoédité. Finalement, je l'ai découvert une fois édité chez Noir d'Absinthe, illustré magnifiquement par Marcela Bolívar. Ce roman descend tout droit du décadentisme du XIXe, et a été adoubé par l'autrice Amélie Nothomb. Au départ dans ma pàl du Pumpkin Autumn Challenge 2019, il aura été lu dans le cadre du PLIB, et j'espère qu'il sera parmi les 5 livres finalistes ! Vert-de-Lierre est le deuxième roman que je lis des éditions Noir d'Absinthe, et je dois dire que pour une petite et jeune maison, je suis ravie de leurs choix éditoriaux !
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Olivier Moreau est un jeune écrivain de polars. De retour dans le village de sa grand-mère récemment décédée afin de mettre de l'ordre dans la maison familiale, il découvre la légende du Vert-de-Lierre, une étrange créature végétale qui se nourrit des hommes pour traverser le temps. Alors qu'il cherche en vain l'inspiration pour un second roman, ce mythe l'interpelle au plus haut point, et il se met à la chasse aux indices afin d'en apprendre davantage. C'est ainsi qu'il rencontre une étrange dame en noir, et, se rendant à son manoir, sa nièce : une jeune femme nommée Rose. Débute alors pour Olivier une obsession pour cette rousse au charme énigmatique, avec laquelle il noue une relation faite de longs après-midis dans le jardin du manoir à parler art et littérature...
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Vert-de-Lierre est un premier roman subtile, envoûtant et instruit, il plonge le lecteur dans un raffinement langagier et imagé dès les premières lignes. La couleur gothique est fidèlement réalisée, tout en n'étant pas
pastichée. Quant au mysticisme, l'autrice réussit un livre avec
plusieurs degrés de lectures symboliques. Écrit à la première personne, le roman est fait de récits enchâssés et de mise en abyme : le narrateur n'est autre qu'Olivier Moreau, qui se voit prêter un manuscrit rédigé par Rose racontant l'histoire d'une certaine Mary, victime du Vert-de-Lierre, du point de vue interne. Le manuscrit se trouve être l'enjeu du roman, tenant le narrateur en haleine et renforçant son obsession pour l'autrice. Il est également la clef du mystère entourant Rose et sa tante...
Louise Le Bars parsème son récit de tics et clins d’œil littéraires du XIXe. Ainsi Olivier Moreau ne serait-il pas une référence au peintre symboliste, Gustave, du même nom ? Ce jeune écrivain naïf se voit torturé par le manque d'inspiration, thème largement exploité en poésie au XIXe - on pense très fort à La Muse malade de Baudelaire, métaphore même du manque d'inspiration -, et la retrouve grâce à sa rencontre avec Rose, qui passe la majeure partie de son temps dans son jardin à soigner les fleurs. La muse à la chevelure de feu est une digne héritière des femmes fatales dépeintes et décrites par les artistes des mouvements préraphaélites, symbolistes et décadents ; tour à tour victime et boureau, Rose est finalement l'actrice principale de ce roman suave et déroutant, phagocytant l'esprit du narrateur. Cela fait penser quelque peu au mythe du vampire, rendu célèbre grâce au Dracula de Bram Stoker. Et en effet, le fameux Vert-de-Lierre dont la jeune femme est l'hôtesse est un esprit végétale se nourrissant de la sève des hommes, comme le lierre se nourrit de la sève des arbres... Un autre personnage ressemble fortement à une figure célèbre du XIXe siècle : Oscar Wilde. Il s'agit de l'époux de Mary, Nathaniel, dandy et fin esthète, et qui a des penchants homosexuels. Il compare d'ailleurs sa femme à Lilith et Méphistophéla, clin d’œil aux mythes du vampire et de la femme fatale, et la déifiant au passage.
On s'aperçoit que le jardin est un élément central du roman ; il est à l'image de la maîtresse des lieux : à la fois frais et capiteux, il est l'alcôve végétale des amours de Rose. Il m'a fait penser au Jardin des supplices d'Octave Mirbeau, en nettement moins sadique. Le narrateur observe souvent à la dérobée sa dulcinée, décrivant là une nuque parsemée de taches de rousseurs, ici la main délicate s'occupant des roses, comme autant de tableaux préraphaélites (je pense à J. W. Waterhouse). Le jardin est aussi une réminiscence de la vie sauvage qu'a menée Rose, ou Mary, le personnage de son récit qu'elle offre à Olivier. Le mythe de la femme qui serait reliée à la nature est très prégnant depuis le Moyen Âge : sorcière des bois ou jeune nymphe se baignant dans un ru ombragé, soumise à son utérus, la femme est un être entouré de secrets et de préjugés sexistes.
Le XIXe ne l'épargne pas en littérature, mais aussi... en psychiatrie. Le récit enchâssé de Rose raconte le passage de la jeune paysanne Mary en hôpital psychiatrique afin de la traiter pour hystérie. Ce chapitre pointe du doigt les horribles traitements qu'ont pu subir nombre de femmes faussement accusées de folie par leur époux ou leur entourage. La psychiatrie s'est ainsi construite sur la torture de nombreuses victimes féminines. En parlant de troubles psychiatriques, un autre thème est traité : celui du double, à la Dr Jekyll et Mr Hyde. En effet, lorsque le Vert-de-Lierre hante sa victime - ici Mary -, un changement de personnalité s'opère, et son hôte ne se souvient de rien lorsque le lierreux se réveille...
Vert-de-Lierre est un court roman finement construit dont je ne peux retranscrire tous les éléments d'analyse. Histoire d'amour d'un écrivain pour sa muse, histoire de l'émancipation d'une femme de sa condition, conte gothique aux accents mystiques, ce livre sort du paysage fantasy habituel et rend un hommage saisissant à la littérature décadente de la fin de siècle.
Ce livre a été lu dans le cadre du Prix Littéraire de l'Imaginaire Booktubers App.
Vert-de-Lierre, Louise Le Bars, éd. Noir d'Absinthe, 2019.
#ISBN9782490417247
J’ai également lu ce livre récemment, sur la recommandation d’une amie et intrigué par les critiques unanimes.
RépondreSupprimerJe lui ai aussi trouvé une certaine fraicheur, d’autant qu’il exploite effectivement une veine plus guère explorée aujourd’hui, et la renouvèle dès lors. Il est amusant, je trouve, de repérer tout ce qui trahit la jeunesse de sa plume : les clins d’œil appuyés aux modèles, le décalage entre un narrateur à la naïveté un peu artificielle et les indices d’un dénouement annoncé de loin, le risque presque inconsidéré d’écrire à la première personne un récit dont le protagoniste est un écrivain à succès, dont le style devrait précisément être virtuose…
Tout cela montre bien l’audace et l’ambition de ce premier roman. On ne pourrait lui tenir rigueur de cette immaturité, car quel premier roman est mature ? C’est presque un oxymore… Ce qui est dommage, en revanche, c’est qu’à mon sens, ce livre aurait été mieux servi par un meilleur travail éditorial. Il reste quand même beaucoup de maladresses de style —des pléonasmes notamment— qu’un·e bon·ne correcteur·ice aurait su éviter. Il en va de même des transitions aux récits enchâssants et de la temporalité, qui auraient mérité par endroits d’être lissées ou clarifiées.
C’est effectivement un premier roman prometteur. Il n’est jamais facile pour un·e auteur·ice d’écrire son second roman lorsque le premier a eu un certain succès, et je pense que le défi est plus grand encore ici, du fait de tout ce que j’ai relevé. Je suis curieux de voir comment Louise Le Bars se dépatouillera de ces contraintes…
En revanche, si comme toi je suis amateur de littérature néo-décadente et donc heureux des choix éditoriaux de Noir d'Absinthe, j’ai quelques réserves sur son aptitude à amener un texte à 100% de ses capacités.
Oui je suis d'accord. Comme je te l'avais dit, j'ai pris le parti de ne pas souligner les défauts, déjà pour ne pas alourdir la chronique, et ensuite parce que ce livre m'a tout de même enchantée. Je pense que c'est parce que ce style est devenu rare dans le paysage littéraire contemporain, surtout lorsqu'il vient de jeunes ME. Concernant Noir d'Absinthe, je pense que le fait qu'il n'y ait pas de gros travail de fond vient du fait que les créateurs et leurs partenaires professionnels (dont la correctrice) ne sont pas du métiers, hélas...
SupprimerCe qui est chouette, c'est que ça laisse une belle marge de progression, tant au niveau de l'écriture que de l'accompagnement. Wait & see, donc. ��
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