mardi 11 juin 2019

Le dernier chant d'Orphée, de Robert Silverberg


Robert Silverberg est un auteur de science-fiction américain très connu du XXe siècle, et a reçu plein de prix prestigieux tout au long de sa carrière (quatre fois le Hugo, cinq fois le Nebula et neuf fois le Locus). Le dernier chant d'Orphée est un de ses derniers longs récits, paru en 2012 aux éditions ActuSF. Ces mêmes éditions l'ont réédité en version poche cette année et j'ai eu le plaisir de le recevoir en service presse. Curieux récit que celui-là, qui traite de mythologie et non pas de science-fiction.

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Orphée, le célèbre poète à la lyre de l'Antiquité, raconte à son fils Musée ce que fut sa vie. C'est son dernier chant, comme il l'indique dès le début du récit. Il parle ainsi de sa naissance quasi divine, de son don pour la musique et de son apprentissage auprès d'Apollon, de sa spiritualité (il se fait initier aux mystères de nombreuses cités et se rend plusieurs fois en Égypte), de son amour Eurydice qu'il pleura toute sa vie, de ses aventures auprès de héros tels que Jason et Ulysse, et enfin, de sa mort.

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Orphée ramenant Eurydice des enfers, Jean-Baptiste Camille Corot.
Silverberg s'est approprié le mythe antique et en propose une réécriture aux accents lyriques. Il insiste particulièrement sur certains instants de la vie d'Orphée, comme la descente aux enfers - essentielle ! - et le voyage auprès de Jason pour récupérer la Toison d'or. La descente aux enfers, autrement appelée catabase, est un topos récurrent de la mythologie grecque et de la littérature tout court (citons par exemple La Divine Comédie de Dante, l'auteur se rend aux enfers pour récupérer son amour Béatrice), et a été énormément peint dans l'histoire de l'art (citons Gustave Moreau, Jean-Baptiste Corot, John Roddam Spencer Stanhope, etc.). Lorsqu'Orphée arrive aux enfers, il rencontre Perséphone, sensible à sa douleur, et son époux Hadès, qui accorde au poète de retrouver sa belle à la seule condition qu'il ne se retourne pas pour la regarder durant le retour. Bien sûr, tout le monde connaît la suite : le poète sortira seul des enfers...
La catabase est surtout une initiation spirituelle : le néophyte entre dans les profondeurs et en ressort grandi, avec des connaissances en plus. Il devient un initié. C'est le deuxième point que j'ai surtout apprécié dans cette novella : l'initiation spirituelle d'Orphée. Ce dernier est à l'origine de l'orphisme, une "secte" antique qui emprunte nombre de ses croyances au néoplatonisme, et qui inspirera plus tard le christianisme : ainsi on retrouve l'idée de souillure originelle. Orphée, de par sa double nature divine et humaine, est tout indiqué pour guider les hommes : il leur permet, grâce à son chant et aux mystères qu'il enseigne, de renouer avec la nature divine présente en chacun d'eux. Ajoutons la croyance en la réincarnation, qui explique pourquoi, tout au long du récit, l'aède précise que tout ce qu'il a vécu il le vivra encore, et ce, éternellement.
L'auteur raconte l'initiation d'Orphée en touches éparses : d'abord Apollon, qui lui fait présent de la lyre, puis, après les enfers, direction l'Égypte, ou le poète apprend autant des prêtres qu'il enseigne la musique à la cour du Pharaon. Puis, pendant son voyage avec Jason, il participe à de nombreux mystères et fêtes en l'honneur des dieux grecs, dont Dionysos. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que l'Orphée narrateur exprime son dégoût des fêtes dionysiaques - ou bacchanales -, alors que ce qui sera enseigné sur l'orphisme emprunte beaucoup au mythe de ce dieu des excès, et c'est par ce culte qu'il meurt : lapidé et lacéré par les Bacchantes, autrement appelées les Ménades, sur l'impulsion d'Apollon qui lui souffle de se sacrifier. Son démembrement est d'ailleurs à mettre en parallèle avec celui subi par Dionysos...
De plus, l'aède offre un regard moderne sur les religions, en particulier les polythéismes : il affirme ainsi que tous les dieux ne font qu'un, se posant ainsi en visionnaire : les monothéismes auront le monopole dans toutes les civilisations européennes et méditerranéennes quelques siècles plus tard. 

Ce court roman n'est pas d'une originalité ébouriffante, l'auteur se contente d'une réécriture sans fioritures ni gros ajouts de son cru. L'intérêt réside dans la forme : Orphée s'adressant à son fils, lui offrant son "dernier chant", qui contient, finalement, tous les chants de sa vie : celui pour Eurydice, ceux de ses nombreux voyages, et le chant de sa mort (on dit que même décapité, il continuait à chanter et sa lyre à jouer).
J'aurais aimé que l'auteur développe certains épisodes : l'histoire d'amour avec Eurydice, avant qu'elle ne meure piquée par un serpent ; son voyage avec d'Ulysse dans le Nord, en Hyperborée, le tout "dernier voyage" du roi d'Ithaque ; en somme, Le dernier chant d'Orphée fait planer le mystère : on n'en saura pas davantage sur son apprentissage mystérique comme sur divers aspect de sa vie (par exemple, il raconte à demi-mots qu'après Eurydice il n'a plus eu que des aventures homosexuelles, ç'aurait pu être sympa de raconter tout ce pan sensuel et amoureux de sa vie !). L'auteur a pris le parti de rester neutre, de s'effacer derrière le poète mythique, donnant à son récit une tonalité antique et lyrique, comme un Virgile racontant L'Énéide.

Pour conclure, ce livre peut être un très bon moyen de s'imprégner du mythe d'Orphée, la plume de Silverberg étant beaucoup plus fluide que celle des auteurs antiques. Néanmoins, pour les férus de mythologie, il leur sera sans doute dispensable. Ajoutons les réflexions semées ici et là dans le récit, sur la religion, l'écriture, le libre arbitre, qui entrouvrent des portes et nous encouragent à les approfondir par nous-mêmes.


Ce roman a été lu dans le cadre du 7e challenge de littérature de l'imaginaire.



Le dernier chant d'Orphée, Robert Silverberg, éd. ActuSF, coll. "Hélios", 2019.

lundi 10 juin 2019

"À la casserole n°5" : entretien avec S. J. Hayes + concours

S. J. Hayes est une autrice franco-canadienne qui a d'abord édité de la romance avant de décider de se mettre sérieusement à l'écriture. Depuis, elle n'édite plus les autres mais publie ses propres textes : Nocturne, une trilogie dont elle a déjà écrit le premier tome (saison 1), qui a été chroniqué sur ce blog. Pour la sortie du second en septembre prochain, elle a bien voulu passer à la casserole, et un concours est organisé afin de vous faire gagner le premier (à voir à la fin de l'article).

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1) Présentez-vous en quelques mots :

Je m’appelle Jeanne. Je suis franco-canadienne. J’écris actuellement de la romance paranormale sous le pseudonyme S. J. Hayes. Mon premier roman, Nocturne, est paru en 2018.

2) Pourquoi avoir choisi l’écriture comme moyen d’expression ?

À vrai dire, j’ai plutôt l’impression que c’est l’écriture qui m’a choisie ! Quand j’étais plus jeune, je dessinais beaucoup ; j’ai aussi été un temps attirée par la musique. Mais, à chaque fois, j’ai abandonné dès que c’est devenu difficile. L’écriture, en revanche, je n’ai jamais réussi à la lâcher. Il m’est bien sûr arrivé de faire des pauses, de me décourager, mais je ne me suis jamais arrêtée à « c’est trop dur ». C’est comme une obsession ; je dois trouver la solution !

3) Quels sont vos genres et formes de prédilection à la lecture ? à l’écriture ?

En fiction, je lis essentiellement des romans. J’aime les littératures de genre, notamment la romance et la SFFF (d’où mon inclination pour la romance paranormale, j’imagine !). Cependant, depuis quelques années, je lis de plus en plus de « non fiction ».
En écriture, pour l’instant, je me concentre sur la romance, et j’ai de futurs projets autant en historique qu’en contemporain. Sinon, je n’exclus pas d’écrire un jour de la pure fantasy ou de la SF jeunesse…

4) Comment définiriez-vous votre style ?

C’est une question que je préfèrerais poser à mes lecteurs… Je peux seulement témoigner de mon intention, qui est d’écrire de la façon la plus claire possible, que le sens parvienne au lecteur avec le moins de friction possible. Je m’intéresse davantage aux éléments que je veux exprimer qu’à la manière elle-même de le faire.

5) Quels sont les textes qui vous ont marquée en tant que lectrice ?

Il y en a tellement ! D’autant que j’ai toujours adoré lire, depuis que j’ai 4-5 ans. On peut commencer avec les contes de fées, dont beaucoup réunissent les motifs de merveilleux, d’amour et de morale auxquels je reste attachée aujourd’hui. Le roi Arthur, un roman jeunesse de Michael Morpurgo, était mon livre préféré quand j’étais petite ; Le ranch de Flicka, un récit autobiographique de l’auteure Mary O’Hara, parce que je voulais avoir sa vie ; Les Trois Mousquetaires, qu’on ne présente plus ; Jane Eyre, qui a carrément changé ma façon de voir le monde… En arrivant à l’âge adulte, j’ai aussi eu une phase « classiques du XXe » : J. D. Salinger (à qui je dois mon nom de plume), Orwell, Steinbeck, Gombrowicz… J’adore, mais je ne suis pas capable d’écrire moi-même ce genre de roman.

6) La citation qui vous ressemble :

« Réaliser dans l'âge d'homme les rêves de la jeunesse, c'est ainsi qu'un poète a défini le bonheur. » (Léon Blum, Stendhal et le Beylisme)

7) Là, maintenant, tout de suite, rédigez deux lignes sur votre environnement :

Quand j’ai rédigé le brouillon de mes réponses, j’étais dans un avion d’Air Canada, de retour du Festival du Roman Féminin à Paris. Le chef de cabine s’appelait Martin, et il nous faisait son topo de présentation avec un accent québécois prononcé, y compris en anglais.

8) Quand vous étiez petite, que vouliez-vous faire quand vous seriez grande ?

Éleveuse de chevaux (haha !), dessinatrice, bédéiste, puis astrophysicienne (là, j’avais 14 ans, je ne sais pas si ça compte encore comme « petite »). J’avais aussi le rêve d’écrire des histoires depuis mes 11 ans, mais je le gardais pour moi, et je ne voyais pas ça comme une carrière réaliste.

9) Quel personnage de fiction aimez-vous le plus ?

Zooey, dans Franny and Zooey, de J. D. Salinger (qui est aussi mon livre préféré).

10) Teaser : qu’écrivez-vous en ce moment ?

J’écris une deuxième saison pour Nocturne, qui part sur une autre intrigue avec d’autres personnages principaux. Je compte la publier à la rentrée (le 2 septembre 2019), et vous pouvez d’ores et déjà vous inscrire à ma liste de diffusion pour participer à un futur tirage au sort et en gagner un exemplaire numérique. 

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CONCOURS (10/06/2019 au 17/06/2019):

Gagnez un exemplaire numérique de la saison 1 de Nocturne en répondant à cette question en commentaire :

Ange ou démon, de quelle équipe feriez-vous partie ? Pourquoi ?

Le ou la gagnant(e) sera annoncé(e) lundi 17 juin 2019. Bonne chance ! 


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